La stratégie constitue, dans un sens très général, la mise en place d’actions coordonnées, de manœuvres spécifiques, ciblées, nécessitant des moyens classiques ou parfois originaux, voire habiles, pour atteindre un but précis.
Est-il possible de développer une entreprise sans s’interroger sur son but ? Sans définir ni structurer les tenants et les aboutissants de son outil de production, de son management, de sa communication… ? Vous en conviendrez probablement, tout développement d’une structure qui évolue dans un contexte de contraintes et d’opportunités internes et externes doit s’articuler autour d’une réflexion structurée. Les petites équipes comme les nôtres n’en sont pas exemptes.
L’étymologie du mot stratégie remonte à une acception d’origine militaire. Les principes énoncés dans le premier traité militaire sur la stratégie (L’art de la guerre, écrit par le chinois Sun Tzu au début du Ve siècle av. J.-C.) sont encore aujourd’hui largement cités et ce, au-delà des écoles militaires. Même si la transposition aux entreprises est discutable, les références militaires ne sont pas anodines, puisqu’elles traduisent bien la volonté qu’une démarche stratégique permette de prendre un avantage par rapport à un rival.
Ce n’est que dans les années 1960 qu’a émergé un sens tourné plus spécifiquement vers l’entreprise, issu principalement des écoles de management nord-américaines, telle la Harvard Business School. Des formations plus spécifiques se sont alors développées de façon notable, comme les MBA. Elles entendaient favoriser l’analyse des modifications environnementales des entreprises, des modifications des marchés et de l’internationalisation des échanges. L’objectif ? Permettre aux entreprises nord-américaines d’anticiper les actions à mener et d’ainsi s’assurer de leur compétitivité.
Revenons à nos “petits moutons”. Définir une stratégie peut être considéré comme le premier élément structurant du développement de l’entreprise : il faut savoir d’où l’on part, envisager vers où l’on souhaite aller, et pour cela définir les moyens, les outils, les manœuvres, les modifications organisationnelles nécessaires, pour atteindre ce but. Cette volonté implique obligatoirement une analyse du secteur dans lequel on opère ou on souhaite opérer, l’anticipation de ce qu’il pourrait devenir, de la place que l’on souhaite y avoir et des actions à mener pour y parvenir.
En ce qui concerne la question « d’où l’on part ? », nous avions, dans notre tribune introductive d’octobre dernier, dressé un tableau du secteur dans lequel nous évoluons. Rappelons ici quelques évolutions générales qui impactent nos entreprises :
• Évolutions économiques, liées à la mondialisation, la compétition extrême, les marchés mouvants, le coût des matières premières, de production, la pression fiscale et légale, en permanente augmentation.
• Évolutions sociales, constituant l’un des plus grands défis à relever pour les entreprises européennes et en particulier françaises : modification de la considération de la notion de travail, remise en question de la hiérarchie, détérioration de l’image de l’entreprise, de celle du chef d’entreprise, génération Y, génération Millenium, précarisation du travail et des relations commerciales, importance donnée au développement personnel…
• Évolutions légales, législatives et normatives, à la fois dans l’environnement national et international. Elles ont lieu au fur et à mesure que les marchés se créent et se développent, compliquant quelquefois de manière significative le travail des structures qui les composent et les obligent à s’adapter [1]. En ce qui concerne notre secteur, citons le règlement arbitral, la transformation numérique, la restructuration légale de nos structures. Car même s’ils ne sont pas avérés, ces faits ont déjà commencé à modifier la vision des acteurs du secteur sur l’exercice de nos métiers, initiant ainsi les changements avant même leur effectivité.
Une fois le diagnostic de l’environnement posé et la nécessité d’une stratégie pour y naviguer évidente, il est temps de demander vers où l’on souhaite aller. Deux réponses majeures se distinguent : l’une réactive, l’autre proactive.
La première réponse consiste à envisager l’entreprise, et ce qui la compose, comme une barque portée par les courants. Cette approche, dite d’alignement, envisage une gestion purement adaptative liée à une réaction globalement passive à l’environnement. Les moyens matériels et humains, tant quantitatifs que qualitatifs, sont calés à la réalisation d’objectifs qui sont uniquement motivés par le marché dans lequel on évolue.
L’aspect réactionnel est ainsi centré sur le marché. Les moyens, quels qu’ils soient (ce qui implique les hommes), sont considérés comme biens de consommation, dévolus à la réalisation d’objectifs intangibles, souvent définis autour de grandes options stratégiques (cibles visées, positionnement dans le secteur, politique commercial…), mais paradoxalement souvent gérés à court terme du fait de leur rigidité, permettant surtout d’adapter les moyens à l’objectif [2]. En résumé, la stratégie envisagée ici est celle de ne pas vraiment en avoir, en tout cas pas à moyen ou à long terme, et d’être suffisamment flexible pour suivre l’évolution en fonction de son avancement. C’est le mode de gestion le plus répandu pour les entreprises de petites tailles [2], ce qui est le cas de la majorité des nôtres. Peut-on donc extrapoler qu’il en soit de même pour les laboratoires de prothèses dentaires ou des cabinets dentaires ?
La réponse proactive, au contraire, met l’accent sur la possibilité d’investir dans les capacités et les moyens, en particulier les ressources humaines, pour permettre un développement de l’entreprise. Elle ajoute en quelque sorte un moteur à la barque. Ce mode de gestion demande évidemment une perspective, une vision, qu’une approche purement adaptative ne nécessite pas. L’investissement n’est ici plus un mal nécessaire, mais indispensable dans l’acception engagée et volontaire de celui-ci. Au niveau des Très Petites Entreprises (TPE), cette approche proactive demande de considérer les femmes et les hommes non plus comme de la main-d’œuvre, mais comme des partenaires essentiels participant au développement global de la structure dans laquelle ils évoluent [3]. Cette démarche engage totalement ses acteurs, qu’ils soient chefs d’entreprise ou salariés. En effet, si elle les implique dans des actions qui appuient la stratégie dans son accomplissement, elle leur demande de l‘engagement pour la mener à bien.
Soyons clair, les deux approches peuvent être intéressantes, mais doivent être réfléchies en profondeur et adaptées à l’environnement et à l’entreprise. Dans les deux cas, si nous voulons rester maître de notre barque, il est indispensable de définir un axe stratégique autour d’une projection qui est certes hypothétique, mais engageante.
Le but de cet article n’est pas de donner des réponses quant à la stratégie qu’il convient de mettre en place pour nos structures. Il entend simplement vous apporter des éléments de réflexion autour de ce concept, afin que vous puissiez commencer à réfléchir à votre projection et à la manière dont vous pourriez y engager votre structure, voire à le partager avec votre équipe. Chacun trouvera ses réponses aux analyses qu’il dégage du marché et de ses évolutions.
Une petite aide ne serait pas refus ? Il y a foisonnement d’outils pour nous aider dans cette démarche : l’analyse PESTEL, les 5 (+1) forces de Porter, l’analyse des FCS, l’analyse SWOT, matrice BCG… Les acronymes fusent ! Nous avons choisi ici d’en citer deux : le premier normatif, le deuxième analytique.
Aussi, le tableau ci-dessous synthétise les principales approches stratégiques et nous donne des éléments pour nous guider en fonction de l’orientation choisie. On constatera que toutes les orientations sont possibles en fonction des choix, des environnements, des moyens, des évolutions et des capacités d’adaptation. Le tableau invite à s’interroger sur la cohérence des éléments clés entre eux et avec notre projection.
Parmi les nombreux outils analytiques, citons celui de Michael E. Porter, célèbre professeur en stratégie à Harvard et consultant en entreprise. La figure 1 schématise les cinq forces en présence dans un secteur donné.
L’outil proposé permet d’analyser la structure concurrentielle du secteur en question dans l’objectif d’identifier, dans un deuxième temps, les facteurs clés de succès (FCS) qu’une entreprise doit maîtriser pour y réussir. Il est possible d’ajouter aux cinq forces de Porter une sixième (+1) : les pouvoirs publics, pouvant impacter chacune des cinq forces présentées ici. Il est évident, au vu de notre actualité, qu’il est important de ne pas l’oublier.
Un tel outil pourra mettre en évidence des aspects qui ne le sont pas d’un prime abord, et permettre de répondre à des risques inconnus ou négligés. Par exemple, pour faire le lien avec une évolution en cours dans notre secteur, est-il judicieux d’orienter sa production sur l’usinage, vu les investissements nécessaires et considérant que tout le monde y va ? Ou est-il plus pertinent de rester sur des techniques plus traditionnelles, au risque d’être dépassé ?
Évidemment, ces outils engagent des réflexions qui s’appliquent autant à un laboratoire de prothèse dentaire qu’à un cabinet. Par exemple, on entend beaucoup parler de différentiation, d’optimisation du temps de travail, de standardisation, d’empreinte numérique, d’usinage dans l’exercice des cabinets, pour résister à la contrainte financière qui se profile par le règlement arbitral. Mais cette différenciation en sera-t-elle encore une à terme, quand tous auront les mêmes moyens et les mêmes fournisseurs ayant les mêmes compétences ?
Une fois clarifié d’où l’on part et où l’on souhaite aller, il reste à décider comment y aller, autrement dit définir les moyens en cohérence avec la stratégie définie. Si un laboratoire décide de devenir la structure de référence en implantologie, les moyens doivent bien évidemment être au regard de l’objectif à atteindre : les moyens matériels et financiers bien sûr, mais aussi les moyens humains, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif, comme par exemple les compétences, l’implication et la motivation. La possession des meilleurs scanners du marché n’apporte qu’un avantage très limité, voire même qu’une charge financière, si personne n’a les compétences ou la motivation pour en optimiser l’utilisation et si le marché qu’ils sont censés servir n’existe pas. Dans le même ordre d’idée, il n’est pas rare d’entendre tel ou tel fournisseur citant des patrons de laboratoire qui s’équipent d’une usineuse, persuadés qu’elle va leur apporter une nouvelle clientèle.
Nous avons ici abordé les questions d’où l’on part, vers où l’on souhaite aller et les actions à mettre en place pour y parvenir, essentiellement sur un plan théorique. Dans le numéro à venir, nous parlerons de l’application de ces concepts et outils, sur la base d’exemples concrets pris dans notre secteur. Cela pourra vous aider à structurer un peu plus précisément vos réflexions au travers d’actions à mener.
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